Xochipilli, le Prince des Fleurs

Chapitre extrait de l’ouvrage de Gordon Wasson “The Wondrous Mushroom”. 1980

Traduction de Xochi

Cet ouvrage de Gordon Wasson fut dédicacé en l’honneur de Roger Heim – qui est l’un de mes héros. Voir mon propre hommage: “Hommage à Roger Heim. L’écologiste, le mycologue, le psychonaute”. [119]

Le PDF de l’intégralité de l’ouvrage, “The Wondrous Mushroom”, est ici:

Caveat. “The Wondrous Mushroom” date de 1980. Les photographies sont donc de pauvre qualité. Je me suis, donc, permis d’illustrer cette traduction, avec les photographies magnifiques d’un document intitulé “Xochipilli, el Señor de las Flores” – qui peut-être téléchargé intégralement ici:

Au Muséum National d’Anthropologie de Mexico, se trouve une statue remarquable connue sous le nom de Xochipilli, “Le Prince des Fleurs”. Pour autant que je sache, ce n’est que dans la Méso-Amérique que le panthéon de l’Homme Ancien inclut une divinité dédiée exclusivement aux “fleurs”. Xochi vient du Náhuatl “Xochitl” signifiant fleur; “pilli” signifie soit enfant, soit Prince, et rappelle notre usage ancien, en Anglais, du terme enfant pour qualifier un jeune de noble naissance – par exemple, Childe Harold de Byron – ainsi que l’usage de Infante en Espagnol. 

“Xochipilli”, ou “Xochipelli
Muséum National d’Anthropologie de Mexico

La statue, et ce que nous appelons son socle, furent excavés à Tlalmanalco, à proximité du volcan Popocatepetl, au milieu du 19ème siècle. Ce “socle” est en réalité partie intégrante de la statue, car c’est une reproduction miniature de la partie inférieure d’un temple Aztèque sur laquelle Xochipelli, en taille réelle, est assis. Au vu des éléments de style, on considère que la statue fut sculptée une génération, environ, avant l’arrivée des Conquistadores.

Pieds de Xochipilli avec orteils rétractés

L’impression générale, conférée par ce Prince des Fleurs, est stupéfiante. L’inclination vers le ciel de la tête et des yeux, la bouche mi-ouverte et tendue, la mâchoire proéminente, les mains situées à différents niveaux, les jambes croisées avec les pieds presque totalement décollés du sol, la tension exprimée par la rétraction du gros orteil droit – tous ces traits provoquent la même impression… Ils sont loin de convier la joie paisible d’un passionné de fleurs. Car, alors, les yeux devraient être tournés vers le sol et il devrait émaner, de tout le personnage, un sentiment de quiétude.

Une des clés de l’énigme, concernant ce personnage, se trouve dans le masque porté par l’homme. On la découvre dans les orbites des yeux et, encore mieux, en dessous du menton. Dans les cultures Occidentales, les masques ont perdu toute leur importance: ils sont relégués aux jeux d’enfants ou aux divertissements – tels que les bals masqués et les festivités frivoles du Nouvel An. Mais dans l’Antiquité, ainsi que dans virtuellement toutes les autres cultures de la planète, le masque revêt une importance capitale. Il met en valeur le trait saillant de personnalité que le porteur représente – étant la personnification de ce trait. Dans cette statue de Xochipilli, le masque représente un dieu en pleine extase – et il le représente avec un puissant génie. Voici un personnage qui ne voit pas, qui ne vit pas comme des mortels ordinaires peuvent voir et vivre: il peut percevoir directement avec les yeux de l’âme. Cet être n’est pas présent parmi nous, il voyage dans un monde lointain. Il est absorbé par “Temicxoch”, “le Rêve des Fleurs” – ainsi que les Náhuas le qualifient pour décrire l’expérience grandiose induite par l’ingestion d’un enthéogène. Je ne peux rien trouver de comparable dans l’histoire longue et riche de l’art Européen: Xochipilli absorbé en Temicxoch.

Détail du Masque de Xochipilli

Le défunt Justino Fernandez nous a légué une description et une explication détaillées, de cette statue, dans son essai intitulé “Una Aproximacion de Xochipilli”, dans le Volume 1 de la Revue Estudios de Cultura Náhuatl. Son étude est une dissection experte, et de profonde érudition, de cette statue selon les standards conventionnels du passé. J’en ai beaucoup appris – ainsi que tous ceux qui la connaissent peuvent le découvrir dans ce présent essai – mais je suis en désaccord avec son interprétation générale. Il s’avère, clairement, que Fernandez n’a jamais eu la joie de faire l’expérience d’enthéogènes, et que, de plus, il n’a jamais vraiment attaché une grande importance au rôle des enthéogènes dans la culture de Méso-Amérique. 

Fernandez ne put pas s’empêcher de percevoir “l’extase” (selon ses propres mots) dans l’expression du visage de l’homme mais, selon son interprétation, cette extase est superflue, et même déplacée. En fait, il minimise l’attitude de transe en suggérant que si les orbites oculaires étaient emplies de turquoises, ou d’autres pierres précieuses – comme il se sent obligé de penser qu’elles l’étaient auparavant – cette impression serait réduite ou même éliminée. A mon avis, il serait surprenant que des pierres précieuses aient jamais occupé l’espace des orbites oculaires. Il est vrai que le personnage porte un masque mais, avec ce style de masque, les orbites sont généralement vides afin que le porteur de masque puisse voir. 

L’extase est au coeur de ce personnage. Nous avons ici l’oeuvre d’un maître, une sculpture suprême d’un homme plongé dans une expérience non terrestre, l’effigie hiératique formelle de la Divinité de l’Extase, le Dieu des Fleurs (ainsi que les Aztèques le qualifièrent): le dieu de la jeunesse, de la lumière, de la danse, de la musique et des jeux, de la poésie et de l’art; l’Enfant-Dieu, le dieu du soleil levant, de l’été et de la chaleur, des fleurs et des papillons, de “l’Arbre en Fleur” (Xochicuahitl ou Arbol Florido) que les poètes Náhuas évoquent fréquemment, le dieu des champignons enivrants (las Flores que embriagan), le dieu des plantes miraculeuses qui transportent vers le Paradis céleste. 

Emblèmes de Champignons à la base de la statue de Xochipilli

Les parties exposées du corps, ainsi que le “socle”, sont couvertes de fleurs sculptées. Il est étrange que personne, de Seler à Gamio en passant par Justinio Fernandez, aucun archéologue, aucun botaniste, aucun historien de l’art, ne se soit enquis de leur identification! Les fleurs sculptées constituent la caractéristique unique de cette statue mais aucun érudit, aucun scientifique ne s’y est impliqué! Depuis les tout débuts, Mexico a abondé en excellents botanistes, Espagnols et Mexicains, et provenant, ensuite, de toute la planète. Tous les érudits semblent avoir succombé à une inhibition impérative, mais néanmoins inconsciente, lorsque leurs instincts naturels étaient enclins à les acheminer vers le Paradis – le “Tlālōcān” – des enthéogènes. Ces fleurs sculptées sur le corps de Xochipilli constituent la clé de la signification de la statue et, de plus, de la signification métaphorique de “fleurs” dans la culture Náhuatl ainsi que dans la culture Méso-Américaine. 

Statue de Xochipilli vue de derrière

Depuis la première fois où j’ai posé mon regard sur cette statue de Xochipilli, vers la fin des années 50, l’emblème ornant les quatre côtés de la base – assurément un motif végétal – a attiré mon attention. Nombreux sont ceux qui ont évoqué une “fleur” mais de quelle fleur s’agit-il? Dès le début, j’ai eu l’intuition que les cinq motifs convexes, avec des marges incurvées et disposées en cercle, étaient des champignons. Ils représentent des champignons vus de profil. Un sixième est caché par la sculpture d’un papillon mythique. Les chapeaux des champignons nous offrent une diversité infinie de formes au sein de l’immense diversité d’espèces et selon les différents phases du cycle de vie de chaque espèce. Même parmi les espèces enthéogéniques de Stropharia, de Psilocybe et de Conocybe, il en existe une diversité infinie. Il nous faut nous souvenir que la statue provient des pentes du Popocatepetl. 

Statue de Xochipilli vue de côté

Selon les croyances des Méso-Américains, le Paradis – leur Tlalocan – est situé sur les pentes d’une verte montagne vers l’est. Ainsi, chez les Aztèques, le massif montagneux imposant, couronné du volcan Popocatepetl, constituait leur Tlalocan, leur Jardin de l’Eden. C’est là que la statue de Xochipilli fut découverte, au coeur du pays des champignons sacrés. C’est ici, dans cette région précise, que le Professeur Roger Heim découvrit, avec l’aide de descendants d’Indigènes Náhuas, l’espèce Psilocybe aztecorum – une espèce alors nouvelle pour la science, dont l’illustration, en couleur, se trouve sur la planche XV de l’ouvrage “Les Champignons Hallucinogènes du Mexique” – avec sa description aux pages 154 à 158. Ses photographies 15 et 16, de spécimens découverts dans leur habitat naturel, montrent le chapeau au moment où il se développe à pleine maturité. Les champignons, sculptés dans le médium de la pierre réfractaire, saisissent admirablement la forme convexe précise du chapeau réel de l’organisme vivant. Henri Nicholson, dans sa photographie de la Figure 15, met en valeur, non seulement, le profil qui avait attiré mon attention: de plus, son objectif donne un corps à la chair et au stipe du chapeau. Les “marges incurvées” (en Français dans le texte) comme les qualifie le Professeur Roger Heim, constituent l’une des caractéristiques spécifiques qui distinguent cette espèce de Psilocybe. La Figure 9a, de gauche, reproduit ce que nous voyons sur la statue tandis que la Figure 9b en est l’illustration dans “Les Champignons Hallucinogènes du Mexique”.

Des champignons apparaissent, également, sur le corps de notre homme en extase – sur ses deux genoux, sur son coude droit et en haut de sa tête. Il y en a trois à chaque fois, au lieu de six, et tout comme sur le socle, nous découvrons les chapeaux d’un autre rang de champignons derrière et entre les champignons de devant. Néanmoins, sur le corps, la sculpture n’est pas aussi bien soignée. Il n’est pas possible de nous aventurer à donner une désignation spécifique comme nous l’avons fait dans le cas de la figure 9a. Je pense que le motif de champignon, sculpté sur le corps de Xochipilli, exprime plutôt un glyphe représentant n’importe laquelle des nombreuses espèces de champignons enthéogéniques – un glyphe que nous sommes susceptibles de découvrir ailleurs (Figure 10). 

Statue de Xochipilli vue de côté – avec orteil rétracté

Sur le socle de notre Xochipilli, nous découvrons ce que toute personne familière de l’art Méso-Américain reconnaîtra comme un papillon hautement stylisé, perché parmi les champignons et en cachant un sixième – et apparemment se nourrissant d’eux. Pourquoi le papillon? Dans notre monde naturel, les champignons n’attirent jamais les papillons, ou bien rarement. Cependant, dans l’iconographie Méso-Américaine, les papillons jouent un rôle mythique important comme nous le voyons avec les papillons du célèbre mural de Tepantitla à Teotihuacan nous montrant (selon Alfonso Caso) Tlalocan – le paradis des Náhuas pour certains individus sélectionnés. Les papillons sont associés avec le royaume des esprits défunts heureux. Ils incarnent les esprits des défunts. Georges Cowan dans Yan (1953 n°2) nous a informés que, dans certaines régions du monde Mazatec contemporain, les papillons sont encore considérés comme étant les âmes des défunts revisitant leur lieux de séjour. Sur le socle de la statue de Xochipilli, le papillon festoie sur du Teonanácatl – qui était, sans doute, considéré comme la nourriture des dieux, vers le monde desquels les champignons transportent, durant un bref enchantement, les êtres humains de ce monde quotidien triste. Madame Seeler a reproduit notre papillon mythique, le symbole qui ratifie notre identification des champignons sacrés. 

Un poème de Chalco a survécu, dans la région de Tlalmanalco où notre statue de Xochipilli fut découverte. Cette sculpture a, peut-être, été inspirée par ces lignes:

“Le papillon fleuri vole et virevolte (Xochin papalotl tepanahuia)

Puisse t-il aspirer du miel de nos fleurs (Ma in tlachichina Aya toxochiu)

En dansant dans nos bouquets” (O tomac xochiu in!)”

(Comme nous le verrons, “fleurs”, dans la poésie Náhuatl Pré-Colombienne, est une métaphore évoquant les enthéogènes. Lorsque ce terme est utilisé ainsi, je le met entre guillemets). 

Sur trois des quatre flancs du socle, adjacents aux champignons sacrés, nous trouvons deux groupes de quatre cercles concentriques. La coiffure formelle de Xochipilli (et quelle coiffure royale – l’élément principal de sa parure!) vue de derrière porte six jeux similaires de quatre cercles. C’est le “tonalli” Náhuatl, le symbole qui évoque la saison d’été, la chaleur solaire, la lumière, les papillons et Xochitl (terme merveilleux!) dans ses différents sens. Sur sa coiffure, ne se trouvent pas moins de cinq symboles d’harmonisation: des espaces quadrilatéraux divisés en quatre bandes qui étaient, probablement, auparavant, diversement colorées  – l’intégralité de la statue ayant été peinte. Le symbole appelé “tlapapalli” renforce le tonalli et signifie la joie suprême, la béatitude sublime. Le “tonalli” et “tlapapalli” ne sont-ils pas de bonne augure pour mon interprétation de cette statue de Xochipilli en tant qu’expression de la révérence que les Aztèques portaient au sublime enthéogène?

Au-dessus des cercles de champignons, sur les faces du socle, nous apercevons une ligne sinueuse tout autour des quatre cercles. Certains érudits ont suggéré que cela signifiait de l’eau – une suggestion heureuse puisque les champignons sont toujours associés avec les averses, la pluie, l’humidité, les sources de montagne. Le long de la bordure supérieure du socle, se trouve une séquence interminable de cercles concentriques. Ces derniers ont été appelés “des symboles solaires” et cela pourrait faire du sens… mais je montrerai, plus avant (page 170 de ce présent ouvrage) que l’on peut en présenter une explication différente – qui renforce mon interprétation relative aux champignons. 

Statue de Xochipilli. Fleurs: Nicotiana sp., Turbina corymbosa, Pseudobombax sp.

Examinons maintenant les “fleurs” qui sont sculptées sur le corps de la divinité. Comme je ne suis pas botaniste, j’ai sollicité l’aide de Richard Evans Schultes, directeur du Muséum Botanique de l’Université d’Harvard et titulaire de la chaire de Sciences Naturelles, dans cette université. Richard Evans Schultes, en collaboration avec ses étudiants – Dr Timothy Plowman et le défunt Dr Tommie Lockwood – ainsi qu’avec son collègue, l’artiste scientifique Elmer C. Smith, et moi-même, a proposé les identifications suivantes. 

Sur la hanche droite de la statue, se trouve une gravure à cinq pétales – et ces pétales sont pointus. Schultes, et ses associés, sont certains que cela représente Nicotiana tabacum, notre Tabac commun, à savoir l’une des plantes sacrées dans toutes les cultures Amérindiennes – non seulement en Méso-Amérique mais dans toutes les Amériques. Durant quatre siècles, les observateurs des Amérindiens ont affirmé qu’ils révèrent le Tabac comme une plante dotée de pouvoirs mystiques – ce que nous appelons de nos jours un enthéogène. Madame Seeler a reproduit ici le dessin de la hanche droite, Figure 16a, et, également, lorsqu’il est répété sur l’avant bras gauche, Figure 16b. La Figure 16c représente Nicotiana tabacum tel qu’il est présenté dans la “Flore Illustrée” de Britton et Brown, éditée par Henry Gleason, Volume III, page 205. 

Tournons notre attention, maintenant, vers Turbina corymbosa, dénommée auparavant  Rivea corymbosa, “l’Ololiuhqui” des Náhuas – la Belle de Jour enthéogénique identifiée dans les cultures Méso-Américaines. Sur la cuisse droite, près du genou, se trouve une gravure de fleur de Belle de Jour – telle qu’on la perçoit observée en coupe.2 Madame Seeler a reproduit la gravure sur la cuisse et a copié, également, l’illustration de Turbina corymbosa sous le même angle que dans le mémoire classique de Schultes “A Contribution to our Knowledge of Rivea corymbosa, the Narcotic Ololiuqui of the Aztecs” – publié par le Muséum Botanique de l’Université d’Harvard en 1941 (Figure 17). 

Sur la jambe gauche, en-dessous du genou, et, également, juste au-dessus du genou sur la cuisse droite, il se trouve, pensons-nous, des gravures de boutons émergents de Belle de Jour qui dépeignent les plis et circonvolutions caractéristiques de cette phase du cycle de l’épanouissement de la fleur. Le dessin de Madame Seeler, en Figure 18, représente la cuisse gauche.

Voilà pour Turbina corymbosa ou l’Ololiuhqui.

Schultes est convaincu qu’il a identifié la fleur gravée sur la jambe droite en-dessous du genou: Heimia salicifolia, le “Sinicuichi” des haut-plateaux Mexicains. Voici l’illustration, par Madame Seeler, en Figure 19 de la gravure et la plante réelle.

Schultes dit que la plante possède des propriétés légèrement psychoactives et ajoute ces détails:

«Les sons semblent provenir déformés de très loin. Cette plante caractérise un hallucinogène du genre de ceux qui provoquent des hallucinations auditives et non pas visuelles. Les Indigènes croient que le Sinicuichi possède des qualités surnaturelles, ou sacrées, puisqu’ils soutiennent qu’il les aide à se souvenir d’événements qui ont eu lieu de nombreuses années auparavant comme s’ils étaient arrivés hier. D’autres affirment qu’ils sont capables, grâce au Sinicuichi, de se souvenir d’événements prénataux.»

Lorsque l’on contemple, de nouveau, la statue, on est tenté de percevoir – de par l’inclination de la tête et, surtout, de par la bouche ouverte – que Xochipilli est en train d’écouter les voix distantes du Sinicuichi. Le dessin de Margaret Seeler est extrait des illustrations dans le Bulletin on Narcotics, Vol XXII, N°1, Janvier-Mars 1970, page 38, dans l’article du Professeur Schultes.

Du côté gauche de la statue, à la jonction du postérieur et de la cuisse, une fleur aux contours précis attire notre attention. Richard Evans Schultes, quelque peu dans l’incertitude, s’est posé la question de savoir si cela pouvait être un bourgeon floral gonflé d’Heimia salicifolia, sur le point de s’épanouir. Comme nous l’avons remarqué, l’Ololiuhqui  – la Belle de Jour, Turbina corymbosa – est, probablement, dépeinte, sur la statue, dans deux phases de croissance. Pourquoi pas également le Sinicuichi? La même fleur est gravée sur l’intérieur du mollet gauche (Figure 20) et, apparemment, aussi, sur le côté droit du torse. (A cet endroit, la gravure ne semble pas achevée). 

Sur le côté gauche du torse de Xochipilli, au-dessus de la ceinture, il se trouve une gravure d’une fleur extraordinaire. Lorsque je suggérai, au Professeur Schultes, que cela pourrait être la fleur de “Cacahuaxochitl” – connue, de nos jours, des botanistes sous le nom de Quararibea funebris – et exposai mon raisonnement, je fus très heureux qu’il pensât que ce pourrait être une excellente possibilité, la meilleure hypothèse avancée à ce jour.

Le Cacahuaxochitl occupa une place unique dans la culture de l’aristocratie Náhua. Les poètes de la pré-Conquête en parlent avec un enthousiasme débordant dans leurs vers, ainsi que de sa fleur, le “Poyomatli” – que nous pouvons, enfin maintenant, relier à son arbre. Le sculpteur du Prince des Fleurs, ayant entrepris de graver, sur le corps de Xochipilli, les fleurs qui étaient largement présentes dans la vie culturelle des Náhua, ne pouvait pas ne pas inclure le Poyomatli. C’était incontournable. L’artiste, qui n’était pas familier avec la fleur dans son habitat natif, fit du mieux qu’il put. Voici le dessin, par Madame Seeler, de la fleur réelle, effectué d’après l’illustration dans l’ouvrage “Arboles Tropicales” de Mexico, de J. D. Pennington et José Sarukhan. 

Le fleur se caractérise par deux aspects – un tube staminal très proéminent et des pétales “retroussés” (en Français dans le texte) qui laissent le tube staminal très apparent. Le sculpteur de Xochipilli, juste avant la conquête, et l’artiste de Sahagun, pour le Codex de Florentine, très peu de temps après la conquête, semblent avoir fait de leur mieux pour mettre en valeur ces deux caractéristiques sans y arriver parfaitement. 

Nous savons que c’est le Cacahuaxochitl que l’artiste du Codex dessinait parce que l’illustration est ainsi dénommée. Il est certain que les deux artistes dépeignèrent les fleurs grossièrement. Mais il faut se souvenir que cet arbre pousse dans les Etats du Veracruz et d’Oaxaca – et non pas dans la vallée de Mexico.  A moins que les artistes aient été bien familiers avec cette fleur in situ, ils ne pouvaient la représenter que par ouï-dire et en en examinant les pétales pressés et séchés – qui étaient transportés en balles vers la vallée de Mexico. Les deux artistes ont réussi, plus ou moins bien, à saisir les caractéristiques distinctes – le tube staminal et les pétales retroussés – mais aucun des deux n’a osé les représenter dans leur aspect extrême. Les deux ont montré le tube staminal tandis que l’artiste de Sahagun a bien saisi son extrémité émoussée. La gravure de Xochipilli est un peu plus réaliste que celle de l’artiste de Sahagun car elle met en valeur les pétales retroussés. Un peu plus loin dans cet article, nous voyons les fleurs telles qu’elles étaient connues des artistes sous leur forme pressée et séchée. Avec nos moyens de transports modernes rapides, nous ne pouvons pas oublier qu’à l’époque de la pré-Conquête, on ne pouvait voyager qu’à pied entre Mexico-Tenochtitlan et les terres du Cacahuaxochitl. 

A la Figure 22, nous montrons l’arbre en fleurs tel qu’il est représenté dans l’illustration de Sahagun qu’il nous livre sans couleurs. 

Finalement, nous découvrons sur notre statue de Xochipilli, sur l’intérieur du mollet de la jambe droite, une fleur à quatre pétales. Quant à son identité, nous n’en savons rien. Nous espérons que nos lecteurs auront une suggestion heureuse à proposer: c’est une fleur probablement enthéogénique – ou du moins un objet de révérence parmi les Náhua de la Vallée de Mexico. Voici le dessin de Margaret Seeler de cette gravure.

La photographie de cette fleur fut prise, à notre attention expresse, par le photographe du Muséum National d’Anthropologie de Mexico. 

Le lecteur pourra observer que les “fleurs” gravées sur Xochipilli ne sont pas fidèles, quant à leurs proportions, eu égard aux fleurs ou aux champignons dans la Nature; chaque fleur s’adapte parfaitement à l’espace qui lui est alloué. Le lecteur pourra, aussi, observer que parmi les fleurs gravées sur Xochipilli, aucun Datura n’est représenté. La sculpture était une expression de la culture des Princes et des Nobles des Náhuas et le Datura ne figurait pas au rang des enthéogènes de la classe  aristocrate. Nous observons, également, qu’aucune plante liée à des breuvages alcooliques – que ce soit le pulque ou la bière de maïs – n’est représentée. 

Cela fait près de vingt années que j’ai découvert, pour la première fois, les champignons sur le socle de la statue mais, au fil du temps, les champignons, et autres “fleurs”, sont passés au second plan de mes préoccupations: cette statue constitue une représentation vivante, sculptée dans la pierre, de l’Extase et les “fleurs” ne servent qu’à confirmer cette signification. Les “fleurs” sur le socle et sur le corps (parmi lesquelles les champignons sont très à l’honneur!) valident amplement, pour tous ceux qui en doutaient, l’identification que j’ai conférée à Xochipilli, la Divinité de l’Extase. L’élégance de cette statue, sa noblesse et sa subtilité témoignent de la place exaltée accordée à ces enthéogènes par l’élite dans la Méso-Amérique de la pré-Conquête. Elles mettent en exergue l’ignorance surprenante, et le manque de respect, dont font preuve tous les Méso-Américanistes vis à vis de cette expression majeure de la civilisation qui est leur sphère spécifique d’études. Dans son article sur notre statue de Xochipilli, Justino Fernandez commence par dénier l’extase de cette statue et, à cette fin, il est prêt à introduire des turquoises dans les orbites de ses yeux pour finalement, faire un compromis, en succombant à l’enchantement du visage:

«Por ultimo, el gesto de la mascara tiene tension dramatica y cierta ternura, pues la mirada esta pendiente de algo “mas alla” que parece mirar fijamente…; el gesto de la boca tensa horizontalmente, y con los labios un poco entreabiertos, sugiere cierto esfuerzo de elevacion…».

«Finalement, le geste du masque témoigne d’une tension dramatique, et d’une certaine tendresse, car le regard est dans l’attente de quelque chose de “l’au-delà”, qu’il sembler contempler fixement…; l’expression de la bouche tendue à l’horizontale avec les lèvres à demi-ouvertes suggère une certain effort d’élévation…».

Il s’en est fallu de peu que ce critique expert d’art académique puisse accéder à la signification ésotérique de la statue! Il semble ici avoir abandonné, finalement, sa notion de turquoises dans les orbites oculaires: il concède que le “regard” est fixé sur “l’au-delà”. Si seulement il avait pu bénéficier d’une expérience enthéogénique ou, alternativement, s’il avait pu prendre un moment pour examiner les spécimens botaniques gravés sur l’ensemble de cette noble statue!

Le lecteur, peut-être, se sera laissé convaincre par ma présentation de Xochipilli sans en prendre en considération les conséquences… Qu’il soit, donc, bien informé. En effet, l’acceptation de mes interprétations équivaut à une remise en questions de la culture Méso-Américaine de la pré-Conquête. Pendant cinq siècles, tous ceux qui s’intéressèrent à la Méso-Amérique ont ignoré les enthéogènes. Les informateurs Indigènes des chroniqueurs Espagnols, sachant fort bien où se trouvaient leurs intérêts, donnèrent des narrations, concernant les enthéogènes, provoquant l’exécration de la part des scribes ecclésiastiques. Nous ne pouvons que remercier ces informateurs de nous avoir rapporté tout ce qu’ils purent – de même que ces religieux qui, plus ou moins fidèlement, transmirent ce qu’ils avaient reçu. 

Xochipilli apparait, souvent, dans les Codex de la pré-Conquête, et dans les sculptures de Méso-Amérique, mais les artistes, naturellement, ne ressentirent aucune nécessité de décliner précisément sa signification. Permettez-moi de suggérer une analogie: les anciens Egyptiens eurent recours à un système d’écriture que personne ne put interpréter jusqu’en 1799 – lorsqu’une pierre fut découverte, dans le Delta du Nil, portant un texte gravé, pour les contemporains d’alors, en trois modes d’écriture: en Grec, en hiéroglyphes Egyptiens et en script Démotique. C’est à partir de cette inscription bilingue que le Français, Jean-François Champollion, nous a engagés dans un processus de lecture du vaste corpus de textes Egyptiens antiques. Ceux qui ont gravé la Pierre de Rosette ne pensaient pas à l’utilisation qui en serait faite par des érudits, dans des régions lointaines, et dans un futur lointain. Il en est de même de l’artiste sculpteur de Xochipilli qui n’aurait jamais pu imaginer, si mon argumentation est valide, les révélations sensationnelles que son oeuvre offrirait à des étrangers venant d’un autre monde, un demi-millénaire plus tard. 

Xochipilli dévoile la vision exaltée des enthéogènes partagée par tous les Méso-Américains durant l’époque de la pré-Conquête: il émane de cette statue une profonde noblesse – caractéristique de toutes les oeuvres d’art exceptionnelles. Postérieurement, certains des religieux, se distinguant par leurs talents et leur zèle extraordinaire, impulsés par de la compassion, et même de l’admiration, envers les conquis, rédigèrent de longues narrations de la vie en Méso-Amérique avant et après la Conquête. Cependant, ces narrations étaient toujours rédigées avec le filtre théologique de cette époque et de ces circonstances: inévitablement, elles ne firent aucune place aux enthéogènes. Notre statue de Xochipilli nous tient lieu de pierre de touche, telle une Pierre de Rosette culturelle: elle fait  l’impasse sur tous ces religieux, encombrés de préconceptions théologiques, et nous parle, directement, avec la voix des Aztèques de la pré-Conquête. 

En tant qu’expression artistique de l’extase en Méso-Amérique, Xochipilli est loin d’être unique. Il est unique, seulement, de par le fait que son corps soit le vecteur de gravures des plantes miraculeuses qui le transportent, et qui nous transportent, vers une autre réalité – et qui nous délivrent son message. Dans l’Etat de Colima, au Mexique, le Dr. Isabel Kelly a excavé un certain nombre de statuettes en pierre prégnantes d’une extase dont l’éloquence époustouflante est peut-être inégalée – même chez notre Xochipilli. Elles datent de la fin du 7ème siècle. Et il est clair que l’absence de gravures botaniques, sur leurs corps, n’enlève rien de leur signification. Leurs yeux sont grand ouverts – tout comme il est naturel lors d’une “velada” nocturne vécue dans l’obscurité. Deux de ces statuettes sont exposées au Muséum National d’Anthropologie. (Figures 27 et 28).

Je pense que deux modes de présentation de l’extase prévalaient à l’époque de la pré-Conquête de la Méso-Amérique. Nous connaissons le mode majestueux au travers du Xochipilli de Tlalmanalco et dans les deux figurines de Colima. Ce style convie au spectateur l’expérience grandiose générée par l’ingestion d’enthéogènes mais, ce faisant, il transporte la réalité sur un plan transcendental. Ceux qui font l’expérience de l’enthéogène sont réellement dans un état de stupeur, captivé par leurs propres sensations.

A SUIVRE.